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Discours de Claude Mollard
dernier président de la Maison pour Tous de la rue Mouffetard
à l’occasion de la pose de la plaque le 17 novembre 2007
en souvenir de la Maison pour Tous

 

Monsieur l'adjoint au maire de Paris, cher Christophe Girard,

Madame l’adjointe au maire de Paris, chargée du commerce et de l’artisanat, chère Lyne Cohen Solal, avec qui nous travaillâmes de concert au cabinet de Jack Lang au ministère de l’Education nationale,

Je voudrais saluer aussi les représentants de la ville de Marcoussis qui ont accueilli la Maison pour Tous en 1978, lorsqu’elle fut condamnée à quitter Paris et…

(Interruption par Monsieur Jean Tibéri : il est scandaleux de ne pas saluer le maire du 5 e arrondissement !)

Vous m’interrompez Monsieur le maire au moment où j’en venais à vous. Sachez qu’en ce jour je ne vous oublierai pas ! (applaudissements et cris de protestations)

Je suis ici comme acteur et comme témoin. Après mon témoignage, je laisserai à Paul Chaslin, qui fut président de la Maison avant moi, le soin de conclure cette cérémonie. On lui doit la pose de cette plaque et il apportera les remerciements auxquels il tient.

Je vous parle ne ma qualité de dernier président de la Maison pour Tous dans les années 1977 à 1981. Il y a trente ans. J’ai eu la lourde et pénible tâche de fermer cette Maison et de l’installer à Marcoussis. Les aides publiques avaient disparu. Et le projet de reconstruction que j’avais élaboré fut alors refusé. Ce ne fut pas, Monsieur Tibéri, comme vous l’avez dit dans votre intervention, « un projet de spéculation immobilière ». La Maison avait été acquise par l’épargne modeste de générations de militants bénévoles ! Il est faux de prétendre que sa reconstruction était spéculative ! (interruptions parmi les partisans de M. Tibéri). Un permis de construire fut déposé. Il fut refusé par la mairie de Paris. Celle-ci décida alors de nous exproprier. Nous fûmes condamnés à quitter Paris. Cela vous arrangeait bien ! (vives protestations de Jean Tibéri et de ses acolytes)

J’évoquerai cette disparition par la voix d’une autre :

« C’est vrai que la disparition du Mouffetard c’est grave, oui c’est grave ; c’était une institution aux portes ouvertes. Ce théâtre n’était pas plus grand qu’une maison finalement, et c’était le théâtre, c’était le théâtre même… La scène était merveilleuse, elle était à une hauteur idéale, comme celle du théâtre de l’Epée de bois, qui lui aussi a été supprimé. C’était les meilleures scènes de Paris, à mon avis. »

Je vous demande : qui a pu prononcer cet éloge de la Maison pour Tous ? Sans doute pas les élus de la ville de Paris de l’époque ! (protestations de Jean Tibéri et de ses partisans), sans doute pas un fonctionnaire du ministère de la Jeunesse et des sports… Non c’est Marguerite Duras échangeant ses souvenirs avec notre regretté Georges Bilbille, qui fut le directeur de cette Maison pendant 28 ans et qui nous a quitté l’an dernier. Telle était la qualité de celles et ceux qui étaient les amis de la Maison pour Tous !

Aujourd’hui, les murs de la Maison pour Tous revivent quelque peu grâce à cette plaque. Mais la Maison pour Tous ne se résoudra jamais à n’être qu’une plaque fût-elle glorieuse et emblématique. Une plaque de pierre, même verticale, a toujours quelque chose de funéraire.

Nous restons les témoins et les acteurs vivants de l’esprit de la Maison pour Tous.

Nous n’étions d’aucun parti (vives protestations de Jean Tibéri), mais nous fûmes les militants d’un grand parti (nouvelles protestations de Jean Tibéri). Nous avions en effet pris le parti des partis pris ! (rires…)

Et d’abord le parti pris de la liberté !

Parce que les responsables de la Maison pour Tous étaient animés d’une inébranlable soif de liberté. Nous vivions dans la filiation de la Fédération des ouvriers du bâtiment de tradition anarcho-syndicaliste qui avait été installée dans ces murs au 19 e siècle et qui faisait rayonner son esprit libertaire (exclamation de M. Tibéri), comme en Mai 68 dont nous avons été des acteurs. Nous ne renions pas, nous, Monsieur Tibéri, l’Esprit de Mai 68 qui a soufflé dans ces murs ! (Vives protestations de Jean Tibéri)

Comme ces compagnons bâtisseurs, l’esprit de la Mouffe était celui de bâtisseurs, de fondateurs ! Bilbille disait un jour à Raymond Devos qui voulait monter sur les planches : « prends d’abord la brouette et aide nous à construire ton outil de travail ! »

C’est dans ce lieu que sont nés les « équipements intégrés », culturels et socio-culturels, grâce à Paul Chaslin, mais aussi à Jacques Chaban-Delmas (moue de Jean Tibéri) alors Premier ministre et Jacques Delors qui travaillait alors auprès de lui (grimace de M ; Tibéri). C’est là que j’ai puisé nombre des idées pour la programmation du Centre Pompidou qu’alors je construisais (nouvelle moue de Jean Tibéri). La Mouffe fut un grand laboratoire d’idées.

Victor Hugo disait : lorsqu’on construit une école, on ferme une prison ! Je dirai en m’inspirant de lui : lorsque l’on crée une bibliothèque il n’est pas nécessaire de fermer une maison pour tous ! (Vives protestations de Jean Tibéri et de ses supporters). Nous avions pris le parti pris de l’intelligence, d’une création incarnée.

Un autre parti pris était celui du dialogue. De là cette exposition réalisée peu après mai 68 sur les événements qui avaient secoué notre arrondissement universitaire. Nous voulions témoigner de la réalité de ces événements. Par la photo. Avec rien moins que des photographes comme Marc Riboud, William Klein, Henri Cartier- Bresson et Edouard Boubat. De « dangereux agitateurs ! » (Claude Mollard se tourne vers Jean Tibéri qui ne dit rien). Georges Bilbille était très fier, à juste titre, d’avoir su réunir des témoins de cette qualité ! Depuis lors, ces « agitateurs » ont tous été exposés au Centre Pompidou ou à la Bibliothèque nationale et sont reconnus dans le monde entier ! Comme eux nous étions citoyens du monde !

Nous étions ouvert aussi sur les nombreux mouvements de jeunes et de l’éducation populaire : les Eclaireurs de France que je remercie encore pour la place qu’ils prennent dans cet anniversaire, les CEMEA, etc.

Notre parti pris était celui de la création pour la création, même dans la pauvreté. Surtout même dans la pauvreté. Une pauvreté obligée ! (Claude Mollard se tourne vers Jean Tibéri qui fait mine de ne rien entendre). Nous nous considérions comme les serviteurs des artistes, pour eux-mêmes et pour leur public.

Notre parti pris, peut-être le plus ambitieux, était d’unir culture et action sociale. Nous avons été le laboratoire d’une politique culturelle unissant comme en juin 1981, la culture et le social. La Maison pour Tous a été la première des maisons de la culture. Et nous sommes de ceux qui pensent que la crise des banlieues trouverait des solutions si les hommes politiques (Claude Mollard se tourne de nouveau vers Jean Tibéri) osaient multiplier dans chaque quartier difficile autant de maisons pour tous.

Notre parti pris était celui de l’éducation. La Maison pour Tous a ouvert dans les années 30 la première bibliothèque destinée aux peu nantis, aux exclus de la culture, aux indigents du porte-monnaie, mais pas de l’esprit !

Notre parti pris était celui de l’esprit de résistance. Résistance à tous les petits pouvoirs et à toutes les grandes indignités. Celle de Vichy notamment. La Maison pour Tous fut au premier rang de la défense des Juifs poursuivis par les nazis – et Jean Tibéri n’y est pour rien ! (Vives protestations de l’intéressé) La Maison pour Tous n’est plus ici dans le 5 e arrondissement. Elle a été contrainte de le quitter (Claude Mollard se tourne encore vers Jean Tibéri qui paraît subitement absent) pour Marcoussis. Mais il existe des milliers de maisons pour tous en France. Notre parti pris était celui de la France, de l’universel, et non pas seulement celui d’un seul quartier, fût-il le 5 e arrondissement que nous aimons.

Je souhaite que cette plaque, que ces murs résonnent encore longtemps de cet esprit de liberté et de résistance. Et pour qu’elle demeure vivante, même si elle nous fait entrer dans l’histoire, je suggère aux actuels élus et adjoints de Bertrand Delanoë, de donner dans le futur à la bibliothèque Mouffetard- Contrescarpe, un nom plus historiquement fondé et plus porteur d’avenir, le nom de « Bibliothèque Maison pour Tous-André Lefèvre ». (vives protestations de Jean Tibéri et de ses partisans)

Cher Christophe, chère Lyne, cela doit être possible !

Vive la Maison pour Tous !

Vive son esprit de liberté, de solidarité, de création et de résistance !

Et merci à celles et ceux qui ont permis, au cours des dernières années, que sa mission soit enfin reconnue en ces lieux, après tant de combats, combien de défaites mais aussi combien de victoires de l’esprit !

(vifs applaudissements qui couvrent les protestations des partisans de Jean Tibéri…)